Luc et Marie-Rose vivaient légèrement, dépourvus de cupidité, d’avarice
et de toute forme de parcimonie. Si l’argent, hélas, devait se gagner, il
devait être aussi dépensé car c’est à cela qu’il servait. Il n’était pour eux
qu’un élément naturel, banal, commun comme l’air et dont on ne réalise
abruptement l’existence et la nécessité que lorsqu’il n’est plus là. Un lendemain de fête particulièrement débridée
durant laquelle l’Auberge du Bon Accueil
avait à nouveau gagné une étoile, Marie-Rose s’en fut à la banque l’esprit
embué de vin d’Arbois dont le feu couvait encore sur ses joues écarlates.
– Marie-Rose, peux-tu venir dans mon bureau quelques instants ? Il
y a certaines choses dont j’aimerais te parler… lui avait susurré son banquier
avec une mine de mayonnaise qui a tourné. Le banquier de l’Escalette était un
banquier comme tous les banquiers, aimable comme une dague, anguleux en
sourires, angulaire en paroles. Il n’est pas un seul de ses clients qui ignorât
sa sempiternelle devise qu’il ressassait vingt fois par jour et par laquelle il
concluait chaque entretien : « quand on a un parapluie, il ne pleut
pas. » Assis à son bureau, les sourcils
en accent circonflexe, l’argentier se mit à faire pleuvoir toute une série de
soustractions sur une machine à calculer, une de ces machines pourvue d’un
rouleau de papier, qui poussait des cris d’hyène à chaque opération. Puis, d’un
œil inquisiteur, il effeuilla un à un tous les extraits du compte en prononçant
ces terribles paroles : – ça ne peut plus continuer comme ça… Les violons du bal avaient à ce
point obéré le budget du couple que leur compte s’en trouva plus rouge qu’un
bout de fer à la coulée. Après cette
cruelle confrontation, la mère de Babette s’en retourna chez elle bien dépitée,
s’écroula dans le fauteuil du salon en s’éventant à l’aide des extraits de
compte puis, se mit à pleurer amèrement, chose que font toutes les femmes
lorsqu’elles contemplent un robinet fermé.
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