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dimanche 24 janvier 2016



Luc et Marie-Rose vivaient légèrement, dépourvus de cupidité, d’avarice et de toute forme de parcimonie. Si l’argent, hélas, devait se gagner, il devait être aussi dépensé car c’est à cela qu’il servait. Il n’était pour eux qu’un élément naturel, banal, commun comme l’air et dont on ne réalise abruptement l’existence et la nécessité que lorsqu’il n’est plus là.  Un lendemain de fête particulièrement débridée durant laquelle l’Auberge du Bon Accueil avait à nouveau gagné une étoile, Marie-Rose s’en fut à la banque l’esprit embué de vin d’Arbois dont le feu couvait encore sur ses joues écarlates.

– Marie-Rose, peux-tu venir dans mon bureau quelques instants ? Il y a certaines choses dont j’aimerais te parler… lui avait susurré son banquier avec une mine de mayonnaise qui a tourné. Le banquier de l’Escalette était un banquier comme tous les banquiers, aimable comme une dague, anguleux en sourires, angulaire en paroles. Il n’est pas un seul de ses clients qui ignorât sa sempiternelle devise qu’il ressassait vingt fois par jour et par laquelle il concluait chaque entretien : « quand on a un parapluie, il ne pleut pas. »  Assis à son bureau, les sourcils en accent circonflexe, l’argentier se mit à faire pleuvoir toute une série de soustractions sur une machine à calculer, une de ces machines pourvue d’un rouleau de papier, qui poussait des cris d’hyène à chaque opération. Puis, d’un œil inquisiteur, il effeuilla un à un tous les extraits du compte en prononçant ces terribles paroles : ça ne peut plus continuer comme ça… Les violons du bal avaient à ce point obéré le budget du couple que leur compte s’en trouva plus rouge qu’un bout de fer à la coulée.  Après cette cruelle confrontation, la mère de Babette s’en retourna chez elle bien dépitée, s’écroula dans le fauteuil du salon en s’éventant à l’aide des extraits de compte puis, se mit à pleurer amèrement, chose que font toutes les femmes lorsqu’elles contemplent un robinet fermé.

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